HRC lance une nouvelle série «Entrevues d’experts»

Une conversation avec Patrick Anidjar, chef de bureau de l'AFP à Jérusalem

26 juin 2008

Cher abonné d’HonestReporting Canada:

Nous sommes heureux d'annoncer le lancement de notre série « Entrevues d’experts » qui vous offrira des entrevues exclusives avec des membres éminents de l’élite des médias canadiens et internationaux. Ces rencontres visent à vous fournir un point de vue d’initié sur le Moyen-Orient et le journalisme dans la région.

Dans notre première entrevue, Paul Agoston, Directeur adjoint d’HRC à Montréal, s’est assis avec Patrick Anidjar, Chef de bureau à Jérusalem de l’Agence France-Presse, pour discuter des différentes menaces stratégiques qui pèsent sur Israël, ainsi que de la couverture médiatique d'Israël et du Moyen-Orient dans les médias internationaux. Veuillez lire la transcription intégrale de l’entrevue ci-dessous. (Traduit de l’anglais)

 

Paul Agoston (HRC): Ancien correspondant de l'Agence France Presse (AFP) en Europe et aux États-Unis, Patrick Anidjar est le Directeur de l'AFP à Jérusalem depuis 2004. Il vient de publier un livre aux Éditions du Seuil « La bombe iranienne. Israël face à la menace nucléaire », une analyse sur les enjeux du dossier nucléaire iranien et ses conséquences sur le conflit israélo-palestinien. C’est une vaste enquête sur le bouleversement géopolitique majeur qui se produira au Moyen-Orient si l’Iran parvient à se doter de l’arme nucléaire. Le livre est disponible sur le web chez le libraire français en ligne www.amazon.fr. M. Anidjar a pris la parole dans le cadre d’une série de conférences cette semaine au Festival Séfarad de Montréal, la célébration annuelle de la communauté séfarade du Québec. Vous pouvez obtenir de plus amples informations sur le site du festival www.sefarad.ca. Merci de nous rencontrer aujourd'hui, M. Anidjar.

Patrick Anidjar (AFP): Merci.

Paul Agoston (HRC): Israël considère le développement nucléaire en Iran comme une grave menace à son existence. Le New York Times a récemment rapporté que l’armée israélienne a mené  des exercices de formation en vue d'une future attaque contre les installations nucléaires en Iran. Est-ce que les médias internationaux ont assez rendu compte de la menace que le programme nucléaire iranien représente pour Israël?

Patrick Anidjar (AFP): C'est l’une des questions les plus importantes de nos jours. La menace nucléaire a généré un grand nombre de documents, d’histoires, de livres, de conférences, tous autour de cette question. Je pense que la quantité de documents, d’histoires, d’articles dans la presse mondiale est si importante qu’il est absolument impossible de les compter. Cela signifie qu’en général le monde prend cette menace très au sérieux, la presse prend cette menace très au sérieux et je pense que c'est non seulement une bonne histoire comme nous l'avons dit, mais que c'est aussi une histoire très importante parce que le risque, le danger est très, très grand. Personne ne joue avec cela et tout le monde est conscient de ce qui pourrait arriver si nous n'en parlons pas. Je veux juste rappeler ce qui s'est passé avant la Deuxième Guerre mondiale. Je pense que le rôle de la presse à ce moment-là n'était pas exactement le même qu'aujourd'hui. Je suis sûr que si tous les Juifs d'Europe avaient été mieux informés par la presse à l'époque, peut-être que les choses auraient été différentes.

Paul Agoston (HRC): Pouvez-vous nous dire quelle est l’histoire qui est la moins rapportée au Moyen-Orient et pourquoi?

Patrick Anidjar (AFP): C’est vraiment difficile de répondre à cette question. Ce pourrait être l'histoire des réfugiés, les réfugiés palestiniens vivant dans les camps de réfugiés partout dans le monde arabe. Au Liban, en Jordanie, une partie d'entre eux en Égypte, également la communauté palestinienne vivant loin de la Palestine, dans le Golfe ou ailleurs. Je pense que c'est vraiment une histoire dont on a peu parlé.

Paul Agoston (HRC): Les médias sont-ils biaisés à l’égard d'Israël? Comment répondez-vous aux critiques voulant que la couverture de l'AFP soit biaisée?

Patrick Anidjar (AFP): La question du biais des médias à l’égard d’Israël est également très importante. Je pense que c'est une question très délicate. Il est très difficile pour les médias de rester objectifs lorsque vous couvrez un conflit tel que le conflit israélo-palestinien. De toute évidence, certains médias ne sont pas au courant de toute l'histoire telle qu'elle était au début. Peut-être que certains journalistes viennent au pays juste pour couvrir une partie de l'histoire sans connaître le contexte précis. Alors, peut-être que le résultat, comme vous pouvez le voir dans certains journaux, ce résultat est évidemment biaisé. Mais ce n'est pas quelque chose de nouveau, c’est aussi lié à la difficile histoire entre le peuple juif et le reste du monde. C’est également lié à cela, je ne veux pas rentrer là-dedans, c’est trop compliqué. Mais bien sûr, vous avez des journalistes qui font un très, très mauvais travail, qui ne voient pas les deux côtés de l'histoire, juste un côté. Bien sûr, le résultat en est biaisé. Mais il est très difficile de changer cela, il suffit de travailler là-dessus. En ce qui concerne les critiques à l’égard de l'AFP voulant que la couverture soit biaisée, je dois dire que beaucoup de travail a été fait ces dernières années pour changer notre façon de rapporter les nouvelles, la façon dont nous obtenons les sources de nos histoires, la manière dont nous utilisons certains termes, des termes très controversés tels que terrorisme, activiste, militant, kamikazes, colons. Ces termes sont très chargés, très lourds et nous sommes très prudents avec ces mots, ce qui n'était pas le cas, disons, il y a 3, 4 ou 5 ans. Donc, nous sommes très conscients des critiques et nous y travaillons.

Paul Agoston (HRC): Le journaliste de la BBC Alan Johnston a été enlevé alors qu’il faisait un reportage à Gaza il n'y a pas si longtemps. Pouvez-vous nous dire quelles mesures de sécurité vous prenez lorsque vous travaillez?

Patrick Anidjar (AFP): Tout a changé depuis le retrait d'Israël de la bande de Gaza. Le travail à Gaza est très différent aujourd'hui, il est très dangereux. Vous devez prendre beaucoup de précautions lorsque vous envoyez des gens là-bas. Dans un premier temps, nous avons décidé de ne pas envoyer des étrangers après ce qui s'est passé avec Alan Johnston. La décision a été prise de ne pas envoyer d'étrangers et d'envoyer des arabes, des journalistes arabes pour couvrir l'histoire. C'est ce que nous faisons essentiellement aujourd'hui, parce qu’ils sont en mesure de parler à tout le monde, ils sont beaucoup plus acceptés, et d’une meilleure façon, par la population là-bas dans la bande de Gaza. C’est donc beaucoup plus sûr pour eux, en fait, c’est très sûr pour eux de se promener, de poser des questions aux gens et d’écrire des histoires. Bien sûr, je sais que ce sont des arabes, mais cela ne signifie pas qu'ils sont biaisés. Ils sont tous, je parle pour mon entreprise, ce sont tous des journalistes de l’AFP et ils sont très objectifs et ils font un excellent travail.

Paul Agoston (HRC): L’ancien dicton des nouvelles « Si cela saigne, cela mène » est certainement vrai au Proche-Orient avec les reportages quotidiens des journalistes qui se concentrent sur la violence entre Israéliens et Palestiniens. Pourquoi entendons-nous rarement parler d’actualités heureuses au Proche-Orient?

Patrick Anidjar (AFP): Le fait que vous n'entendez pas de bonnes nouvelles ne signifie pas que nous ne couvrons pas les bonnes nouvelles. Nous couvrons un grand nombre de nouvelles culturelles; nous couvrons beaucoup de nouvelles scientifiques. Il y a quelques mois, j'étais au Japon pour couvrir la première visite officielle d’Ehud Olmert à Tokyo et nous avons fait état de la coopération entre le Japon et Israël sur le plan scientifique et sur celui de la haute technologie. Je pense que c'était une histoire très positive, c’était une histoire vraie, c'est quelque chose qui se passe là, cette collaboration entre les deux pays sur le plan de la haute technologie. Donc oui, nous couvrons, disons des « nouvelles heureuses ». Mais c'est vrai, je veux dire qu’un article fait la une quand ça saigne, c'est un meilleur article de tête. Bien sûr, vous n’allez pas parler d’un train qui arrive à destination à temps, jamais, ce n'est pas intéressant. Vous écrirez un article sur un train qui a déraillé à un moment donné pendant le voyage, mais vous ne couvrirez jamais le train qui est arrivé à destination à temps.

Paul Agoston (HRC): Après Moscou et Washington, Jérusalem a la troisième plus forte concentration de journalistes dans le monde. Pourquoi est-ce le cas, selon vous?

Patrick Anidjar (AFP): Les choses ont changé. C’était vrai il y a quelques années, mais aujourd'hui les médias envoient moins de correspondants étrangers. La raison est que ce conflit passionne. Ce conflit a une influence sur le reste du monde.

Paul Agoston (HRC): Mais il existe d'autres conflits dans le monde. Pourquoi ce conflit?

Patrick Anidjar (AFP): Ce conflit a une influence sur le reste du monde. Lorsque Ben Laden envoie des avions dans les tours à Manhattan, il dit que c'est pour le peuple palestinien. C’était le plus grand événement de ces dernières années. C'est un conflit qui a des ramifications partout dans le monde. Et c'est la vieille histoire de la Terre promise, la Terre sainte, etc., je ne vais pas entrer là-dedans. L'explication est là, tout le monde s'intéresse à la Terre promise.

Paul Agoston (HRC): Les villes israéliennes comme Sderot et Ashkelon continuent à subir le poids des attaques de Qassam et, pendant que les citoyens risquent leur vie, les médias semblent ignorer leur sort. Pourquoi est-ce le cas?   

Patrick Anidjar (AFP): Ma réponse est très simple. Nous envoyons quelqu'un à Gaza pour couvrir un événement et, en même temps, nous envoyons quelqu'un à Sderot, mais pas juste à Sderot, dans les kibboutz, tous les kibboutzim de la région. J’envoie personnellement des gens là pour couvrir les nouvelles tout le temps, tout le temps, tout le temps. Des photographes et des journalistes, et nous avons un photographe payé sur une base permanente dans ce coin afin de couvrir les nouvelles au cas où quelque chose se passe là-bas.

Paul Agoston (HRC): Pourquoi est-ce que nous n’entendons jamais parler de ces histoires?

Patrick Anidjar (AFP): C'est le choix des médias quand ils vont chercher les histoires sur le fil de presse. C'est un choix, nous ne pouvons pas influer sur ce choix. Nous faisons nos reportages, nous faisons notre travail pour rapporter ce qui se passe. Ensuite, ils font ce qu'ils veulent. C'est un véritable problème. Il y a un autre problème qui est très important, c'est que vous pouvez prendre une nouvelle brève, la découper et en prendre des morceaux, c'est autorisé. Donc, vous devez mentionner que c'est une brève de l'AFP, de Reuters, de l’AP ou quoi que ce soit d’autre, mais vous pouvez la découper, ce qui donne comme résultat des histoires incomplètes. Il est possible que les histoires soient rapportées mais que la partie concernant Sderot soit manquante. C’est très possible, cela a dû avoir lieu.

Paul Agoston (HRC): Avez-vous quelque chose d'autre que vous aimeriez ajouter?

Patrick Anidjar (AFP): Je pense que, pour critiquer le travail d'un journaliste, il faut bien le connaître. Je crois que c’est très important. Il faut tout connaître : les difficultés, à qui on s’adresse, à savoir si on s’adresse à des gens honnêtes ou malhonnêtes et il faut connaître le contexte. On ne peut pas simplement dire que tous les journalistes ne sont pas objectifs, que tout ce qui se passe au Proche-Orient n’est pas objectif, que ce que nous disons sur le Proche-Orient n’est pas objectif. On ne peut pas parler de cette façon. Il faut enquêter, faire un travail d’investigation afin de voir comment nous travaillons, dans quelles conditions. Nous sommes menacés parfois, il arrive très souvent que nous soyons menacés. Nous avons des journalistes qui ont même été enlevés, des personnes de l’AFP enlevées. Si nous sommes tellement pro-palestiniens, pourquoi enlèvent-ils nos journalistes? Ça n'a pas de sens. Ce ne sont pas des Israéliens qui enlèvent nos journalistes. Donc, nous travaillons dans des conditions très difficiles, nous sommes très souvent mis en danger et pour faire le travail d'informer l'opinion publique mondiale, puisque nous écrivons dans toutes les langues, eh bien c'est une mission. C'est une mission qui n'est pas toujours facile à réaliser. Donc cela, il faut le savoir avant de critiquer.

HonestReporting.ca

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